... chez Lebecque (1903)



Début février 1903, enquêtant sur l'alcool en France, un journaliste du quotidien parisien Le Soir (1) vient visiter Arthur Lebecque (2) distillateur à Téteghem (route de Coudekerque) et aussi maire de la commune (3).

La fabrication industrielle d'alcool agricole est alors en crise, et l'entreprise Lebecque, établie avant 1895, qui distille la betterave, n'est pas épargnée. En cause : la surproduction, en dépit d'une consommation d'alcool distillé très élevée situant la France au premier rang mondial (4) ; le combat moral et sanitaire des sociétés de tempérance contre l'alcoolisme (5) ; la hausse des taxes sur l'alcool par Joseph Caillaux au ministère des Finances (1899-1902) et la baisse en revanche des droits sur la bière et le vin considéré comme une boisson saine contrairement aux eaux-de-vie (mal nommées) ; la concurrence des bouilleurs de cru, ces propriétaires exploitants agricoles que la loi du 14 décembre 1875 a autorisés à distiller librement, sans déclaration ni droits, une partie de leurs récoltes pour leur consommation personnelle.


 

 

En 1895, pour protester contre le privilège des bouilleurs de cru, Arthur Lebecque, comme d'autres distillateurs du Nord, avait refusé d'acquitter ses impôts commerciaux, et sa lettre adressée au percepteur avait été diffusée par la presse nationale. « Je me vois, écrivait-il, dans la nécessité de vous avertir que je vous payerai mes contributions personnelles, mais que je ne verserai les impôts qui m'incombent comme distillateur et fabricant d'alcools que lorsqu'on se sera décidé à supprimer les bouilleurs de cru qui, par une concurrence à armes inégales, ruinent notre industrie et notre agriculture. » (6) (7)


Les bouilleurs de cru par Léon Georges

dans L'Assiette au beurre 1903

 

Ce jour de 1903, dans l'interview qu'il accorde au journaliste venu le voir, Arthur Lebecque évoque l'expérimentation prometteuse d'un alcool agricole dénaturé, rival du pétrole, pouvant servir à des usages courants. « On pourra, dit-il, livrer à la consommation un alcool dénaturé et carburé à un prix de bon marché tel qu'il remplacera avantageusement le pétrole dans ses diverses applications, au chauffage, à l'éclairage et à la force motrice. » Il suffira d'adapter les distilleries en conséquence, ce qu'Athur Lebecque entend faire.

On ignore ce qu'il advint du projet, mais retenons qu'au début du XXème siècle on pensait à employer l'alcool comme carburant. (8)


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Surtout intéressant par la question qu'il traite, cet article l'est aussi accessoirement par deux détails dans l'introduction : le trajet Paris-Dunkerque en train (5 heures avec arrêts), la desserte hippomobile Dunkerque-Téteghem ; et l'attrait de Malo, dans la conclusion.

 

 

 

1 - Parution de 1869 à 1932.

2 - Anthime Arthur Ernest Lebecque, couramment prénommé Arthur (1863-1904).

3 - De 1892 à 1903.

4 - 4,5 litres par habitant et par an en 1900 (1,5 litre en 1850). Cf. Dominique KALIFA, « Vices et vertus. Ivresse de la Belle Époque », Revue de la BNF, 2016/2, n°53.

5 - Dont la Société française de tempérance (fondée en 1873), la Croix bleue (protestante, 1883), l'Union française antialcoolique (1897), la Croix blanche (catholique, 1899).

6 - Le Rappel du 17 avril 1895. Quotidien national républicain radical (1869-1933).

7 - Deux lois, les 29 décembre 1900 et 31 mars 1903, enlèveront aux bouilleurs de cru leur totale liberté, prévoyant notamment des visites domiciliaires d'agents de la Régie financière. Mais la loi du 27 février 1906 la rétablira.

8 - Cf. François JARRIGE et Alexis VRIGNON (dir.), Face à la puissance. Une histoire des énergies alternatives à l'âge industriel, La Découverte, coll. Sciences humaines, 2020.