A Messieurs,

Messieurs le Maire et officiers municipaux

et président du Comité de surveillance

établi pour la sûreté et défense

de cette ville de Dunkerque

a l'honneur de vous représenter très respectueusement, Messieurs, Claude David Baudry, ancien militaire ayant servi dans le corps royal d'artillerie dans sa jeunesse l'espace de dix sept ans, à commencer depuis 1731 où il s'est trouvé à aider à faire trois sièges deux chocs et une bataille ; depuis l'année 1731 jusqu'à la fin de 1746 ayant quitté ledit corps après les prises de Menin et Courtrai (4), et après ayant toujours été employé pour le service de l'artillerie sous les ordres des commandants ladite artillerie en cette ville.

En l'année 1741, il fut détaché en cette ville de Dunkerque ayant la guerre avec l'Empire et l'Angleterre (5) ; il a été occupé avec le détachement à construire les batteries du Risban (6), Bourgogne, Santerre et Angoumois (7). Ces batteries étaient d'une grande défense pour la sûreté de cette place par mer (8).

Le Risban était garni de vingt pièces de canon dont quatorze de calibre de 24, et de six de 33 livres de balles, et de quatre mortiers ;et les trois autres garnies d'artillerie à proportion de leur grandeur. Tout cela fut construit en 1742 pour la défense du port et de la place ; de suite l'on a construit deux autres petites batteries, dont l'une était la batterie du fort vert et l'autre celle des coquilles pour la défense du port et de l'extrant (9), et l'on a construit de suite une ligne de circonvallation (10) depuis un fort qui était dans les dunes au bord de l'extrant vis à vis Zuydcoote que l'on appelait la batterie royale où il y avait trois batteries l'une sur l'autre.

Cette ligne de circonvallation allait depuis cette batterie entre Zuydcoote et Leffrinckoucke, venait aboutir jusqu'au canal de Furnes (11) près la redoute (12) Leffrinckoucke où il y avait quatre batteries construites sur cette dite ligne.

De suite l'on a établi la redoute de Leffrinckoucke où l'on y possédait deux pièces de canon de 8 livres de balles, et l'on fit deux fronts de palissade avec quatre barrières dont lesdites barrières fermaient toutes les nuits, ni pouvant entrer ni sortir personne la nuit et le jour qui ne fut bien visité si elle était porteur de passeport.

Entre les deux barrières, sur la droite il y avait une pièce de 12 qui, conjointement avec les deux pièces de la redoute, défendait les chemins sur la canal de Furnes de l'approche de l'ennemi de cette ville.

Il y montait dans cette redoute, de jour cinquante hommes avec un capitaine et un lieutenant et trois canonniers d'ordonnance ; et le soir, elle était renforcée de cinquante autres hommes.

Et l'on fit construire sur le canal de Furnes, en deçà, deux autres redoutes qui étaient gardées par des gardes militaires pour la sûreté de cette place, et de suite l'on avait continué à faire une ligne depuis ledit canal qui allait aboutir jusqu'à la redoute que l'on a fait faire à B (?). Et au cas que l'on fut obligé d'abandonner le poste, il y avait dans le petit magasin à poudre des clavettes pour enclouer les pièces et de suite passer le pont tournant de Leffrinckoucke avec la troupe et tourner le pont et se retirer le long du canal pour renforcer les deux redoutes en cas d'attaque.

L'on fit après la redoute à Zuydcoote, où l'on y posa aussi deux pièces de canon de 8, deux barrières comme au fort de Leffrinckoucke qui aboutissait de gauche dans le canal de Furnes et de l'autre côté dans le fossé où il n'y pouvait passer personne ni nuit ni jour. Et l'on posa une pièce de 12 entre les deux barrières qui battait le chemin de Furnes, dont les boulets étaient déposés en dedans, et des gargouches (13) à mitraille prêtes au cas d'attaque de l'ennemi. Il montait alors cinquante hommes de jour à cette redoute, et la nuit elle était renforcée de cinquante autres hommes qui n'allaient plus à la redoute de Leffrinckoucke, attendu que celle-là la couvrait.

Il y avait sur la tour de Zuydcoote un petit corps de garde, où il montait quatre hommes et un caporal, qui découvrait tout ce qu'il s'y passait sur l'extrant et dans les dunes. Sitôt qu'il apercevait quelque chose, il faisait un signal avec un petit drapeau. Alors il se détachait un sergent et huit hommes qui allaient reconnaître et arrêter les fugitifs qui partaient sans passeport et les conduire au poste de Leffrinckoucke, et de suite en ville. Cela faisait que la ville était bien gardée.

L'ennemi, pour lors, avait une redoute à Dunkerque et faisait des patrouilles jusqu'à portée de fusil de la petite chapelle située sur le canal de Furnes qui fait la séparation et limite des deux royaumes. La redoute de Zuydcoote en faisait de même pour observer l'ennemi ; et au cas d'attaque de ladite redoute, que la troupe fut obligée d'abandonner le poste, ils enclouaient leurs pièces, passaient le pont de Zuydcoote, et venaient se replier sur la redoute de Leffrinckoucke. Et alors, la ville était prévenue et avait le temps de se mettre en défense pour la place ; et l'on était gardé et averti par les postes avancés.

Point du tout depuis près de deux ou trois ans que nous sommes menacés. L'on a fait faire par ricochet un fossé alentour des fortifications et raccommoder les lignes où l'on y a fait passer des batteries sur de nouvelles plates-formes ; que, si l'on avait été attaqués et à faire feu, qu'ils auraient tous écroulés n'étant qu'un sable sans soutien (14), pendant que les anciennes plates-formes qui sont solides et construites depuis 1743 et 44 en état de soutenir la défense ont été abandonnées et méprisées. Voilà bien une trahison bien découverte.

J'ai l'honneur de vous observer, Messieurs, que pour la sûreté et la défense de cette place, il faut faire rétablir au plus tôt la redoute de Zuydcoote ou celle, en premier, de Leffrinckoucke. Y faire faire deux fronts de palissades avec deux barrières qui ferment toutes les nuits au delà du pont, lesquelles palissades doivent aboutir dans l'eau de droite et de gauche du chemin pour empêcher le passage de droite et de gauche du chemin, avec deux barrières et entre les deux barrières y mettre une pièce de 12 qui batte le long du chemin de Furnes, avec une petite pile de boulets et quelques boîtes ou gargouches à mitraille, tant pour ladite pièce que pour ceux qui doivent être entreposés dans la redoute pour défendre l'approche de l'ennemi venant par le canal de Furnes.

Quant à ce qu'il regarde l'extrant, je vous observe que l'ennemi peut venir depuis Furnes (15) jusqu'au bord de la mer, par le moyen d'une chaussée qu'ils ont fait faire il y a sept à huit ans, avec des pièces d'artillerie du calibre de 12 et de 16, et par une marée basse avancer jusqu'à l'esplanade pour l'attaque de la ville, n'ayant aucune défense sur l'extrant pour les empêcher d'avancer.

Il serait nécessaire de faire travailler à la batterie du fort de l'Est, y faire faire des plates-formes pour y poser seulement quatre à cinq pièces de canon, soit de fonte ou de fer, pour défendre l'approche des ennemis le long de l'extrant, y faire planter des pilots pour soutenir ladite batterie qui sera d'une grande utilité pour la défense à l'approche des ennemis, choses qui devaient déjà être fait depuis un an et que l'on a négligé de faire, ou une batterie sur pilotis. Et raser ledit fort, attendu que si l'on a crainte que ladite batterie leur serve de retraite, au moins de la ville l'on pourra leur briser celle qui sera faite sur pilotis à coups de canon. Ayant abandonné cette batterie, l'on enclouera les pièces.

Que l'on fasse faire une visite exacte dans les magasins à poudre pour y vérifier par des gens connaisseurs la quantité et qualité de poudre qu'il y a dans les quatre magasins effective.Que l'on fasse faire une visite exacte aux batteries qui sont sur le cordon du rempart depuis le poste d'entre les canaux jusqu'au port pour y visiter les poudres qui sont dans les petits magasins en bois, calibrer les boulets qui sont empilés près des pièces pour voir s'ils sont de calibre, attendu qu'il faut se tenir sur ses gardes pour être en règle au cas d'attaque. Faire visiter tous les jours les pièces qui sont en batterie sur les fortifications par gens connus à cette manœuvre, de crainte au cas d'attaque de se trouver trompé.Faire consigner aux sentinelles une défense de ne laisser approcher personne des batteries qu'en présence du caporal ou sergent des postes, quand même ce serait des officiers d'artillerie, ingénieur ou piqueur des travaux, et même une personne qui aurait les ordres pour faire chaque jour ladite visite. Faire visiter l'arsenal, y vérifier les gargouches et cartouches faites, ainsi que les armes qu'il puisse y avoir dans les salles d'armes, ainsi que tous les affûts, armement des pièces de rechange et autres ustensiles d'artillerie qu'il peut s'y trouver.

Quant aux canons, il ne s'en trouvera guère que de petites pièces de 4 au nombre de six ou huit, attendu que l'on a fait transporter à Saint Omer tout le canon qu'il était ici pour le service de la place avec celui que l'on avait fait venir ici qui aurait servi à l'ennemi pour faire des sièges après qu'il se serait emparé de cette ville sous prétexte de faire un entrepôt à Dunkerque. Ni laisser entrer personne dans les magasins à poudre après vérification et inventaire faits que des personnes chargées de ce détail encore en présence du sergent de gardes et de quatre fusiliers.

Mais surtout de faire une défense sur l'extrant pour empêcher l'approche de l'ennemi, ainsi que fortifier la redoute de Zuydcoote ou celle de Leffrinckoucke pour la sûreté de la ville.

Voilà l'avis que vous propose votre serviteur, connu bon patriote et citoyen, présentant ses services quoique d'âge avancé pour lesdites visites en ayant toute connaissance.

 

Baudry

 

Vous trouverez en cette ville, rue des Recollets, (...) une belle batterie, des pièces de canon de fer fondu qui peut servir à faire une batterie sur l'extrant, n'ayant point d'artillerie à l'arsenal.

 

(1) Le 20 avril 1792, Louis XVI et l'Assemblée législative déclarent la guerre à l'Autriche, autour de laquelle se formera la 1ère coalition contre la France.

(2) Comité de sûreté de douze membres, parmi lesquels le maire et le chef de la Garde nationale, constitué le 13 septembre 1792.

(3) Archives municipales de Dunkerque, cote 4H1.

(4) En juillet 1744.

(5) Guerre de succession d'Autriche (1740-1748).

(6) Ouvrage avancé le long de la jetée ouest du chenal d'accès au port.

(7) Bourgogne, Santerre et Angoumois sont les noms des régiments ayant construit les trois batteries éponymes. Une batterie est un ouvrage défensif armé de pièces d'artillerie.

(8) Elles ont été détruites à la suite du traité d'Aix-la-Chapelle le 18 octobre 1748.

(9) Jetée est du chenal.

(10) La ligne de circonvallation est une ligne de défense.

(11) Canal creusé au XVIIe siècle, séparant Rosendaël de Leffrinckoucke et Téteghem.

(12) Une redoute est un ouvrage de fortification détaché.

(13) Ou gargousses : enveloppes contenant la charge de poudre à canon.

(14) La ville est « entourée d'une simple fortification en sable gazonné »écrit Victor DERODE, Histoire de Dunkerque, 1852, p.380.

(15) Les faits le confirmeront. Au printemps 1793, l'armée britannique du duc d'York occupe Furnes où après sa défaite à Hondschoote, le 8 septembre 1793, elle se repliera en désordre. Ce repli rend la victoire française incomplète car « on n'avait pas Furnes » dira MICHELET, Histoire de la Révolution française, Tome VIII, 1879, p.73.