Cahier des doléances des branches des paroisses de Téteghem, Ghyvelde et Uxem dépendant du Territoire de Dunkerque
24 mars 1789
Le rachat de Dunkerque par Louis XIV, en 1662, a divisé les villages de Téteghem, Ghyvelde et Uxem, rattachant une partie au territoire dunkerquois et laissant l'autre à la châtellenie de Bergues (1).
Nous reproduisons et présentons ici le cahier des vœux et plaintes que les trois branches ont ensemble rédigé pour la réunion le 5 mai 1789 des états généraux que la crise financière a contraint Louis XVI à convoquer.
Les rédacteurs mandatent leurs députés dans le but d'aider le roi à la résoudre ; « une bien grande tâche » disait Necker, ministre des Finances, qui en savait l'ampleur et pressentait qu'elle surpasserait « la force d'un homme quel qu'il puisse être » (2). Mais en leur demandant d'abord de réclamer une constitution (écrite) qui garantisse les droits, la liberté et la propriété. La revendication d'un contrat fixant les règles du pouvoir prévaut sur la résolution de la dette, qui pourtant est la raison principale d'assembler les états. C'est dire son essentialité.
Tout aussi capitale est la demande des requérants d'une réforme de la justice, abusive et opaque ; de l'administration municipale, avec un mode d'élections clair, libre et équitable. Capitale également leur réclamation d'une publicité des comptes du corps municipal (le Magistrat) qu'ils soupçonnent de servir d'abord ses intérêts.
Ces exigences, de nature politique, sont déjà révolutionnaires. À les lire, il est évident qu'une transformation fondamentale se prépare. On réclame au roi, auquel les plaignants sont encore attachés et qu'ils veulent soutenir -la défiance et l'opposition viendront plus tard- des changements profonds.
Suivent des doléances contre les privilèges, les excès, l'injustice, l'arbitraire, les caprices, les détournements, la cherté du blé, et contre des pratiques économiques appauvrissantes.
Gérald Mennesson
Doléances et pétitions des habitants des branches de Téteghem, Ghyvelde et Uxem, territoire de Dunkerque. A insérer au cahier du tiers état de la Flandre maritime et objet du mandat à donner à Messieurs les députés aux états généraux.
1°- de concourir de tous les efforts de leur zèle à procurer à la France une heureuse constitution qui assure pour jamais les droits du Roi et ceux de ses sujets, la liberté de chaque citoyen et le maintien de la propriété.
2°- de concourir à faire trouver au Roi tous les secours nécessaires pour acquitter les dettes de l'Etat ou empêcher qu'il ne manque jamais à ses engagements.
3°- de procurer la réforme des abus relatifs à l'administration de la justice.
4°- de demander que l'administration des officiers municipaux soit changée parce qu'elle est arbitraire, mystérieuse et préjudiciable aux intérêts de la commune et que les édits des mois d'août 1764 et mai 1765 (3) soient exécutés avec des changements propres à prévenir les effets de la cabale dans les élections (4) soit des députés, des notables ou des échevins (5).
5°- de demander que les officiers municipaux soient tenus de rendre compte de l'emploi qu'ils ont fait des deniers levés dans le territoire.
6°- qu'il soit défendu aux décimateurs (6) de percevoir des dîmes dont ils ne sont pas en possession de jouir.
7°- qu'ils soient tenus d'entretenir les pauvres ou d'abandonner chaque année le tiers de leurs dîmes sans qu'ils puissent s'exempter de leurs autres obligations telles que celle de réparer et entretenir les églises, de payer les vicaires.
8°- que le droit de chasse soit aboli, parce qu'il préjudicie à l'agriculture et à la sûreté des habitants et ce que la chasse se fait avant que les grains soient levés et coupés et ce que les chasseurs s'arrogent le droit de chasser dans les jardins et menacent ceux qui s'en plaignent de les excéder et en ce que sous prétexte de conserver le gibier on ôte aux habitants leurs fusils et que par là on les réduit à souffrir impunément d'être volés.
9°- qu'attendu qu'actuellement le blé est à 40 et 41 (livres) la rasière (7), que ce prix étant excessif les pauvres sont obligés de vivre de fèves de cheval et d'avoine, il soit défendu d'exporter le blé hors du pays et qu'à l'avenir l'exportation de blé soit sévèrement défendue lorsqu'il sera à 24 livres la rasière.
10°- que pour empêcher la ruine des jardiniers qui paient un loyer considérable, il soit défendu aux jardiniers étrangers, surtout à ceux de Saint-Omer, d'apporter leurs légumes au marché de Dunkerque.
11°- que les décimateurs soient tenus de payer leur part dans les vingtièmes comme les habitants, et que l'exemption qui leur a été accordée à ce sujet par le département (8) soit abolie comme injuste et vexatoire.
12°- qu'ils soient chargés aussi de payer les études aux élèves des paroisses (9).
Ainsi fait et arrêté au Chapeau rouge sur le canal de Furnes le 24 mars 1789, après que les présentes ont été translatées en flamand pour ceux qui ne savent pas le français.
Approuvés trois mots rayés de notre part. (Suivent dix-sept signatures).
(1)-Les paroisses de Armbouts-Cappel, Coudekerque et de Leffrinckoucke ont elles aussi été scindées et pour partie annexées au Territoire de Dunkerque.
(2)-Necker cité par sa fille in Germaine de Staël, Considérations sur la Révolution française, (1818), rééd. Tallandier, 1983, p.112.
(3)-Les édits d'août 1764 et mai 1765 modifient (et uniformisent) l'administration des villes. Ils « créent dans chaque cité une assemblée de notables élus par les principaux corps de la ville. Ces notables désignent librement des conseillers de ville et des échevins alors que le roi garde le droit de choisir le maire sur une liste de trois noms »( Dictionnaire de l'Ancien régime, dir. Lucien Bély, PUF, 2009). La réforme sera abrogée en novembre 1771.
(4)-Des intrigues et arrangements n'étaient pas rares lors des élections, et se sont produits au moment d'élire des députés aux états généraux.
(5)-Officiers municipaux exerçant la justice.
(6)-Décimateurs ou dîmeurs : ecclésiastiques levant la dîme. La dîme est une redevance en nature sur les produits agricoles payée au clergé (un dixième des récoltes).
(7)-Ancienne mesure de contenance, la rasière de blé équivaut à environ 83 litres.
(8)-Mot du vocabulaire administratif depuis François 1er.
(9)-Des écoles élémentaires existent dans les paroisses depuis l'ordonnance royale du 13 décembre 1698. Louis XIV les a voulues pour lutter contre le protestantisme. Elles sont dirigées par un prêtre chargé d'instruire les enfants dans la religion catholique, la catéchèse formant l'essentiel de l'enseignement.