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Les habitants se plaignent d'un poids fiscal excessif, toujours accru sans savoir pourquoi.

Ils dénoncent la malhonnêteté des officiers qui profitent des écouages, des décimateurs qui prélèvent indûment des dîmes inhabituelles, de la maréchaussée qui les rançonne. Tout est prétexte à les charger arbitrairement, à leur soutirer de l'argent. Des gens cupides abusant de leur pouvoir les exploitent, mus par l'intérêt, une quête effrénée d'avantages personnels sans souci du bien général. L'accaparement prévaut sur les devoirs : malgré la taxe, les wateringues ne sont pas entretenues ; les décimateurs redistribuent les dîmes moins qu'ils devraient, ne donnent rien aux malheureux ni ne réparent l'église ; l'appétit du lucre gagne même le curé du village qui, pour ne pas prendre sur sa portion congrue, fait payer l'enterrement des pauvres.

Les paroissiens souffrent du privilège de la chasse, droit exclusif des nobles qui leur cause un grand tort : les chasseurs prennent les fusils, tuent les chiens, les privant ainsi de défenses ; saccagent les cultures, giboyant à leur guise.

Ils pâtissent d'une quantité élevée de miséreux : ceux qui viennent de Dunkerque pour se nourrir à la campagne, les locaux que le regroupement des exploitations augmente en réduisant le nombre des fermiers.

Enfin, il y a un autre mal : le mépris, l'irrespect, le peu de cas qu'on fait du peuple. L'humiliation, l'injustice et l'oppression sont les ferments des révolutions.

Gérald Mennesson


C'est le cahier des plaintes et doléances des habitants de la paroisse de Téteghem.

Premièrement, ils déclarent se plaindre d'être surchargés d'impositions ordinaires (1) et extraordinaires et que cela augmente tous les ans sans en connaître les causes -montant pour cette année à six livres douze sols tournois (2)-, ni la mesure. Comme aussi d'être surchargés par une grande quantité de pauvres tant de ceux de leur paroisse que de ceux d'autres paroisses voisines, et surtout de ceux venant journellement de la Basse ville de Dunkerque pour demander de l'argent, du pain, du blé et autres nécessités de la vie.


Deuxièmement, qu'ils sont chargés de l'entretien d'un aoutre (3) pour l'assistance du sieur curé dans le service divin et de devoir lui fournir une pension et le logement.


Troisièmement, se plaignent de ce que l'imposition de la Wateringue (4) vient aussi d'être augmentée d'un quart et que malgré cela, les watergraves ne faisant pas travailler aux fossés, ils sont encore obligés de faire l'entretien en grande partie à leurs frais.


Quatrièmement, qu'ils sont foulés et accablés de la part des officiers principaux, bailli (5) et vicomte (6), relativement aux chemins et sentiers ; que ces officiers non contents des amendes qui leur sont adjugées aux écouages (7) qui se font dans le temps ordinaire, mais qu'aussi depuis quelque temps ils entreprennent d'aller de leur chef faire des travaux dans les rues et fossés durant le temps de la moisson dans le mois d'août et de septembre, comme il est arrivé l'année dernière, et cela sans avoir obtenu un requis ordonnancé de la loi, que pour ce faire ils emploient grand nombre de gens qu'ils ramassent de toute part, même de la ville, de toute espèce de métiers, et qui n'ont jamais travaillé à la terre ni manié le loucher, des fainéants qui ne travaillent pas le tiers de la journée, de sorte qu'en faisant du mauvais ouvrage ils font leur compte qu'il en coûte dix fois et vingt fois plus qu'il n'en coûterait s'il était fait par des ouvriers ordinaires, ce que les officiers font exprès parce qu'ils prétendent avoir droit de faire exécuter ces travaux à double frais des défaillants. Qu'encore, cet hiver dernier, la visite ou l'écouage des sentiers a été faite dans le courant du mois de février et aussi hors de saison tandis que l'usage constant est de faire cet écouage au commencement de l'hiver dans les premiers jours de décembre. De façon qu'il paraît clairement que la police sur les chemins ne s'exerce plus que pour faire prononcer des amendes au profit des officiers à la charge et au détriment du cultivateur sans qu'il en résulte le moindre avantage pour le public.


Cinquièmement, ils éprouvent également une surcharge de la part des cavaliers de la maréchaussée. Qu'ils se font donner à manger et à boire et la nourriture pour leurs chevaux ; que ces officiers, après avoir examiné et observé pendant le jour tout ce qui se trouve dans les censes (8) et sur les terres, reviennent souvent dans la soirée ou dans la nuit et enlèvent le couteret (9) de la charrue et se font ensuite payer une amende arbitraire de dix livres et plus.


Sixièmement, qu'ils ont aussi beaucoup à souffrir par rapport à la chasse. Que non seulement on leur enlève leur fusil dont ils ont besoin pour se défendre des chiens enragés, contre les loups et autres bêtes et animaux malfaisants, et contre les voleurs et assassins quand ce ne serait à l'égard de ces derniers que pour leur inspirer la crainte et la peur. Que sous prétexte de la conservation du gibier, on a enlevé sur cette paroisse, il y a trois à quatre ans, un chien attaché à la chaîne, au sujet duquel il y a eu deux gros procès. On tue aussi les chiens sur la cour ou dans l'enclos des censes. Pourquoi on les fait encore payer une amende d'un écu pour chaque chien qui est le gardien de leur maison ? Que les chasseurs font beaucoup de dégâts dans les fruits par eux et par leurs chiens. Qu'ils viennent chasser même dans le temps défendu, qu'ils ouvrent les barrières, rompent les chaînes et les défenses pour se faire un passage et les laissent ouvertes aux bestiaux qui sortent des pâtures et vont paître sur les champs et dans les fruits. Que lorsqu'on va aux chasseurs pour leur reprocher le tort qu'ils font, ils présentent leur fusil et menacent de tirer.

Qu'en outre, les lièvres et les perdrix font un très grand dégât aux fruits des cultivateurs, que s'il arrivait qu'un habitant tuerait une pièce de gibier on le condamnerait à de très grosses amendes et on le traînerait dans les prisons.

Que les habitants sont aussi fortement gênés par des ordonnances dites politiques de tout genre qui paraissent uniquement faites pour procurer des amendes et pour des contraventions en faveur des officiers.

 

Septièmement, que nonobstant les défenses portées par les placards (10) et ordonnances, les décimateurs (11) continuent de mettre dans les cahiers de relocation des dîmes (12) de cette paroisse beaucoup de fruits dont ils ne sont pas en possession d'avoir la dîme tels que pommes de terre, haricots, choux, carottes et autres légumes et fruits, ce que toutefois ils ne font que pour la partie de la paroisse qui se trouve dans la châtellenie de Bergues, tandis qu'ils n'en oseraient agir de même pour la partie qui est sous le territoire de Dunkerque (13) à cause que cela leur y est défendu par une ordonnance très sévère rendue par la Magistrat de Dunkerque où ils ne se hasardent point de lever ni exiger des dîmes insolites (14) non plus que sur la partie du territoire paroisse de Coudekerque.

Qu'en même temps qu'ils tâchent toujours d'étendre leur droit de dîme, ils font tout ce qui est possible pour diminuer ce qu'ils sont tenus de payer pour vingtième (15) sur leurs dîmes et que de fait ils ne paient que la moitié.

Que ces décimateurs tirent annuellement de grandes sommes d'argent des dîmes de la paroisse sans y laisser la moindre chose au secours des pauvres, pas même les deniers à Dieu qu'autrefois ils y distribuèrent tandis que suivant les anciennes lois et capitulaires ou ordonnances du royaume le tiers des dîmes appartenant aux pauvres devrait encore leur appartenir actuellement.

Se plaignent en outre les paroissiens au sujet de ce qu'ils sont obligés de plaider contre les décimateurs pour obtenir la reconstruction de leur église paroissiale afin de l'avoir faite sur la même dimension comme elle était avant qu'elle fut ruinée durant les guerres du siècle précédent (16), depuis quoi on n'en a mis en réparation qu'environ la quatrième partie, laquelle ne met pas encore les habitants à l'abri des injures de l'air ; qu'il y a au moins deux années que ce procès dure, que par toute sorte de moyens les décimateurs font prolonger le procès, nonobstant que suivant le procès-verbal dressé par expert il soit vérifié que la partie de l'église actuellement existante ne peut contenir qu'entre trois et quatre cents personnes tandis que le nombre des communaux se monte à onze cents (17). Qu'en outre elle doit encore être assez spacieuse pour y pouvoir recevoir en même temps la moitié de ce nombre qui sont les enfants âgés au-dessus de sept ans qui doivent être conduits au service divin, ce que les décimateurs savent encore très bien, et ce nonobstant, ils paraissent décidés à ne pas cesser leur opposition, de quelque importance que ce soit pour la morale et la religion ainsi que pour l'éducation des enfants dont apparemment ces messieurs se soucient fort peu dès qu'ils peuvent garder leur argent.

 

(Huitièmement), les habitants déclarent aussi de réclamer contre l'incorporation de petites censes et accumulation pour en faire des grandes, estimant que c'est une des causes de l'augmentation des pauvres.

 

(Neuvièmement), se plaignent de la longueur des procédures, de l'augmentation outrée des droits de greffe (18) sur toutes sortes d'actes et expéditions comme aussi des frais de rédaction et audition des comptes de leur paroisse, tous lesquels augmentent continuellement sans aucune raison et mesure.

 

(Dixièmement), se plaignent encore que la table des pauvres (19) est chargée des frais d'enterrement de leurs pauvres, ce que le sieur curé qui lève sa portion congrue (20) devrait faire gratis.

 

(Onzièmement), demandent l'exécution de l'union de cette ville et châtellenie.

 

Finalement, les ouvriers journaliers et gens de métiers dits Kortgeseten se plaignent à cause qu'ils sont taillés et imposés nonobstant qu'ils n'ont aucune terre qu'ils font valoir à leur profit.

 

Requérant que sur tous les susdits points et autres en tout genre allégués par les paroisses voisines et par les habitants de la ville, il soit pourvu par les remèdes convenables à tout quoi il est référé.

Ainsi fait et arrêté en l'assemblée des habitants de la paroisse de Téteghem tenue ce jourd'hui vingt six mars mil sept cent quatre vingt neuf, et ont signé (suivent vingt noms).

 

(1) Taille, capitation … (contributions directes), gabelle et autres taxes (contributions indirectes).

(2) Monnaie de compte, la livre tournois vaut vingt sous (ou sols).

(3) Enfant adultérin.

(4) Fossé ou ouvrage de drainage pour l'asséchement des terres et l'évacuation des eaux. Une taxe d'entretien des wateringues est prélevée dans les paroisses : six sols par mesure en 1786.

(5) Officier représentant le roi, investi d'un pouvoir judiciaire et administratif.

(6) Officier de justice en-dessous du bailli.

(7) Entretien et réparation des chemins.

(8) Fermes (habitations et dépendances).

(9) Couteret ou coutre : couteau à longue lame qu'on adapte à la flèche de la charrue en avant du soc   pour fendre la terre.

(10) Informations affichées.

(11) Décimateurs ou dîmeurs : ecclésiastiques levant la dîme. La dîme est une redevance en nature sur les produits agricoles payée au clergé (un dixième des récoltes).

(12) Les décimateurs délèguent la perception de la dîme, le plus souvent à des fermiers.

(13) Depuis l'acquisition de Dunkerque par Louis XIV en 1662, la paroisse de Téteghem est scindée en deux parties : une branche est restée attachée à la châtellenie de Bergues, l'autre dépend du territoire dunkerquois.

(14) Dîmes abusives, contraires à la coutume.

(15) La dîme sert à l'entretien des églises et des ministres du culte. Une part revient traditionnellement aux indigents.

(16) Guerre avec l'Espagne (1635-traité des Pyrénées 1659), guerre de Dévolution (1667-traité d'Aix-La-Chapelle 1668), guerre de Hollande (1672-traités de Nimègue 1678), guerre de la ligue d'Augsbourg (1689-traités de Ryswick 1697).

(17) 1 500 en 1793.

(18) Le greffe est le dépôt où l'on conserve les actes d'une juridiction. Le greffier, officier transcrivant les jugements, prélève des droits importants pour lui et pour le roi.

(19) Table des pauvres ou bureau de charité : institution locale d'assistance, distributrice de secours, antérieure au bureau de bienfaisance.

(20 -La portion congrue est la part de dîme que le curé desservant de la paroisse reçoit des décimateurs.