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Monument de la 32e DI


Saint-Ay (Loiret), 21 octobre 49

Le général de division Lucas, du cadre de réserve,

ex commandant de la 32e Division en 1940,

à Monsieur le général de corps d'armée,

président du « Souvenir Français » (4)

9 rue de Clichy, Paris

J'ai l'honneur de soumettre à votre bienveillante attention, à toutes fins utiles, la question suivante dont la solution éventuelle intéresse à la fois la division que je commandais en 1940 et le village de Téteghem de la banlieue de Dunkerque.

Ma division de 40 -la 32e- a participé du 10 au 30 mai aux opérations de Belgique et des Flandres avec la 1ère armée et à la défense de la tête de pont de Dunkerque du 31 mai au 4 juin, date de l'occupation par les Allemands de notre grand port.

Pour commémorer ce douloureux périple quant à son dévouement et rendre hommage à leurs morts (près de 2000), les combattants de la 32e Division ont élevé sur leurs deniers et inauguré le 3 juin 1947, sous la présidence de général d'armée Blanchard, un monument en granit de Sidobre (5), dans un cimetière militaire ouvert en 1940 au village de Téteghem (7 km SE de Dunkerque) où des éléments de ladite division appartenant aux 122e et 143e régiments d'infanterie ont, dans un ultime et suprême effort, contre attaqué le 3 juin matin pour contenir toute cette journée une puissante poussée ennemie menaçant dangereusement Dunkerque et ont permis ainsi de poursuivre toute la journée du 3 juin et la nuit du 3 au 4 nos embarquements dans le port et sur la plage de Malo-les-Bains.

Notre monument avait sa place dans la tête de pont de Dunkerque que la 32e Division est parvenue à atteindre le 30 mai, et cette place était toute indiquée à Téteghem, où, sur 220 tombes que comptait le cimetière en 1947, 70 recouvraient les corps de ses propres combattants !

Actuellement, je rentre de Téteghem, où sur l'invitation de sa municipalité, j'ai remis à cette commune martyre, le 16 courant, la Croix de guerre, avec une éloquente citation que lui a décernée le Gouvernement en reconnaissance des souffrances, des sacrifices, des pertes humaines et matérielles subis par elle en 1940 -et encore en 1944-45 (65 victimes civiles, 80 % de ses demeures à reconstruire entièrement, 75 % de ses terres cultivables inondées 2 fois (6) par l'eau de mer et rendues ainsi incultes pour de longs mois ! ).

Les cérémonies organisées à l'occasion de l'inauguration de notre monument le 3 juin 1947 et celles de la remise de la Croix de guerre dimanche dernier 16 octobre ont été fort émouvantes, empreintes d'une ferveur patriotique exemplaire et infiniment réconfortantes dans les temps présents (7). Et rien ne saurait mieux attester l'état d'esprit d'une population qui a terriblement souffert au cours du dernier conflit que le culte du souvenir qu'elle a voué à son cimetière militaire régulièrement entretenu et fleuri chaque semaine depuis qu'il existe !

Or j'ai reçu le 16 octobre les doléances de la municipalité à cet égard.

À la suite des mesures prises pour la restitution aux familles le sollicitant des corps de leurs tués pendant la guerre 39-45, une centaine de tombes ont déjà été relevées, ce qui, à chaque exhumation, provoque d'amers regrets de la part des habitants qui se voient, si cela continue, privés d'une nécropole qui leur est chère.

Aussi le maire m'a-t-il adressé ainsi qu'à M. le sous-préfet de Dunkerque qui présidait les cérémonies de dimanche, la prière de faire tout ce qui serait en notre pouvoir pour obtenir que lors du regroupement des corps de nos tués de la région de Dunkerque -non réclamés par leurs familles respectives- le cimetière actuel de Téteghem soit maintenu comme « cimetière national » définitif. Et nous avons pris l'engagement, M. le sous-préfet et moi, de faire toutes les démarches voulues pour faire aboutir ce si justifié et pieux désir.

D'autre part, au nom de toute ma division, j'y joins le désir de voir ramenés, alors, à cette nécropole couronnée par notre monument de granit -et dans la mesure des places devenues disponibles mais par priorité- les corps de combattants de la 32e DI tués autour de Dunkerque et inhumés dans divers autres cimetières. C'est ainsi que 2 officiers supérieurs de la 32e Division, tués les 2 et 3 juin 1940, sont actuellement inhumés, l'un, le commandant Neveil du 3e RAD, à Petite-Synthe (banlieue ouest de Dunkerque), l'autre, le commandant Durand, (du) génie divisionnaire, aux abords du sanatorium de Zuydcoote, où, mortellement blessé il venait d'être transporté. Si ces 2 corps ne sont pas réclamés par les familles, ce que je crois vraisemblable, leur place définitive doit être à Téteghem, à l'ombre de notre monument.

La solution de cette question dans le sens indiqué me tient à cœur, comme elle l'est également pour les anciens combattants de la 32e Division et les habitants de Téteghem, dont je suis le porte parole.

C'est pourquoi, mon général, j'ai cru devoir m'adresser à vous en la circonstance, le Souvenir français, que vous présidez, me semblant tout qualifié pour intervenir auprès de qui de droit afin que satisfaction nous soit donnée au moment où se fixera la désignation des « cimetières nationaux » à maintenir dans la région de Dunkerque, par analogie avec ce qui s'est passé pour les corps de nos combattants de 1914-18 non réclamés par les familles.

C'est en pleine confiance que j'attends le résultat des démarches que le « Souvenir Français » voudra bien entreprendre à cet égard et, au nom de la 32e Division et de Téteghem, je vous en adresse à l'avance mes remerciements.

Signé : Général Lucas

Copie à M. le Maire de Téteghem pour information

et à toutes fins utiles le cas échéant.

 

Vue générale du cimetière militaire


La Grand'cour, Saint-Ay (Loiret)

21 octobre 1949

Mon cher Maire,

Je crois opportun de vous adresser ci-inclus la copie de la lettre que je viens de faire partir au général Andlauer, président général du « Souvenir Français » pour répondre à l'engagement que j'ai pris vis-à-vis de vous, de votre conseil, et de vos concitoyens, de faire tout ce qui sera en mon pouvoir pour obtenir des pouvoirs publics (8) le maintien de votre cimetière militaire que couronne le monument aux morts de la 32e Division, lorsque seront regroupés les corps de nos disparus de 40 dans la région de Dunkerque non réclamés par les familles.

Cette copie fixera mon désir à agir sur place le cas échéant, tout en gardant la faculté de recourir à une nouvelle intervention de ma part, si vous le jugez utile d'après les renseignements que vous aurez recueillis à ce sujet.

Je vous prie, Mon cher Maire, de croire à mon meilleur souvenir et à mes sentiments de bien cordiale sympathie.

Signé : Général Lucas

Une copie jointe.

P.S.

J'avais demandé au patron de la « Brasserie de Strasbourg », où je suis descendu les 15 et 16 courant, de m'adresser les journaux locaux relatant les cérémonies du 16 octobre à Téteghem. Je n'ai rien reçu. Si par hasard il n'avait pu satisfaire ce désir, pourrais-je vous demander d'y donner suite à sa place ? Je vous réglerai le montant de vos débours à cet égard. Merci à l'avance.


1- Une nécropole nationale est un cimetière militaire propriété de l’État.

2- Le Souvenir Français est une association datant de 1887, qui perpétue la mémoire des soldats morts pour la France et entretient les tombes et monuments commémoratifs.

3- Joseph Dequeker.

4- Général de corps d'armée Andlauer.

5- Sidobre, dans le Massif central, est le premier centre français de production de granit.

6- En 1940 puis en 1945.

7- C'est la Guerre froide. En 1949, la création de l'OTAN, alliance militaire occidentale (4 avril) et l'annonce de la première explosion nucléaire soviétique(22 septembre) font craindre pour la paix mondiale. La naissance de la République populaire de Chine (1er octobre) exacerbe la tension internationale.

8- Le Secrétariat d’État aux Anciens combattants et victimes de guerre.